Hillary, Dieu et l’Amérique

Hillary Clinton est une battante. Son clip de campagne, publié la semaine passée, s’intitule «Fighter», la «Combattante». La politicienne affirme briguer la présidence pour se battre en faveur des humbles et des laissés pour compte de la société étasunienne. Car eux aussi ont droit au rêve américain. La rhétorique progressiste de Clinton, laisse toutefois place à une phrase qui étonnera plus d’un auditeur européen:

Chacune et chacun mérite la chance de vivre selon le potentiel que Dieu lui a donné. C’est un rêve que nous partageons. C’est un combat que nous devons mener.

Que vient faire Dieu dans une campagne présidentielle? Imaginerait-on François Hollande briguer un nouveau mandat en promettant à ses concitoyens de les aider à développer leur «potentiel donné par Dieu»?

La référence religieuse revêt une dimension culturelle: 40% des Américains se rendent à un service religieux chaque semaine, contre environ 10% des Suisses ou des Français. Mais cette référence relève aussi d’une stratégie électorale que mettent en œuvre tous les candidats, républicains ou démocrates, depuis les années 1980. Cette stratégie témoigne d’une emprise croissante de la religion sur l’espace public étasunien, alors même que les citoyens qui s’y déclarent sans-religion y sont passés de 16% à 23% depuis 2007.

Le potentiel donné par Dieu?

Hillary Clinton n’a rien d’une bigote. C’est une progressiste. Elle ne transige pas sur les droits relatifs à la contraception ou au mariage pour les personnes du même sexe – contrairement aux candidats républicains, qui y sont farouchement opposés au nom de leurs «valeurs religieuses». Clinton a même déclaré, lors du Sommet Mondial des Femmes qui s’est tenu en avril dernier, que les «codes culturels, les croyances religieuses» qui s’opposent aux droits reproductifs et à la santé des femmes «doivent être changés». Cette prise de position a été vivement critiquée par le républicain Jeb Bush et ses alliés de la Droite chrétienne qui y ont vu une attaque contre la «liberté religieuse».

Malgré cette liberté de ton, Clinton ne cesse d’évoquer le «potentiel donné par Dieu», qui constitue un trait essentiel de sa rhétorique actuelle. Elle l’a fait à plusieurs reprises depuis le lancement de sa campagne le 13 juin. Cette stratégie de communication ne semble pas liée à sa foi méthodiste, dont elle n’a jusqu’ici jamais fait étalage.

Être digne de foi

Cet impératif de parler de Dieu est plutôt une exigence de la vie politique américaine. Parmi les 535 membres que compte le Congrès, seule la démocrate Kyrsten Sinema se déclare «sans-religion». On peut gager que tous ne sont pas des croyants convaincus. Mais, dans un pays où 53% des sondés affirment qu’ils ne voteraient pas pour un candidat qui ne croit pas en Dieu, afficher son absence de religion s’apparenterait à un suicide politique. La foi religieuse d’un politicien fonctionne donc comme un gage de confiance pour l’électeur.

Un portrait de Hillary Clinton, paru en juin 2014 dans Time, montre les dérives auxquelles peut conduire cet exercice de profession de foi publique imposé au politicien. Le célèbre évangéliste Billy Graham, proche des présidents étasuniens depuis Nixon, y dit tout le bien qu’il pense de la politicienne:

Elle est très différente de la Hillary que vous voyez dans les médias. Il y a de la chaleur en elle et aussi une dimension spirituelle.

Cette recommandation de Graham renseigne sur les lecteurs qu’il s’agit de convaincre. C’est évidemment l’électorat évangélique qui est courtisé. À lui seul, il représente 25% des Américains.

Dieu: une stratégie conservatrice

L’électorat évangélique constitue la base du Parti républicain. Cette base, les stratèges républicains l’ont cultivée depuis la fin des années 1970, en lançant la Majorité Morale du pasteur Jerry Falwell. La stratégie a fonctionné à plusieurs reprises, à commencer par l’élection de Ronald Reagan – qui a évincé le progressiste Jimmy Carter, pourtant un Baptiste affiché. De même pour l’élection et la réélection de George W. Bush: une alliance entre républicains et conservateurs religieux.

La place de la religion dans l’espace public américain, et surtout dans le jeu politique, ne s’explique donc pas par la seule dimension culturelle. Elle résulte d’une stratégie conservatrice qui a su imposer le thème des «valeurs morales» (lutte contre l’avortement, contre l’homosexualité, etc.), afin de mobiliser une frange religieuse de l’électorat. L’exemple de Hillary Clinton montre que les candidats progressistes sont désormais contraints de se prêter au jeu.

La libération de la parole religieuse – conservatrice – porte à conséquence sur le fonctionnement du débat public et des institutions politiques. Elle sert d’appui à la Droite religieuse pour s’opposer aux avancées du droit antidiscriminatoire ou de la science. D’après ces chrétiens conservateurs et leurs alliés politiques, la légalisation du mariage entre personnes du même sexe menacerait leur «liberté religieuse». C’est pourquoi la Droite chrétienne se bat vigoureusement, non pas pour que les Églises puissent choisir de célébrer ou non de tels mariages (c’est déjà le cas), mais pour que les entreprises soient libres de discriminer leurs clients homosexuels.

La «liberté religieuse» sert aussi à promouvoir l’enseignement du créationnisme dans des écoles privées subventionnées par l’État. Car les parents auraient le droit de prodiguer à leurs enfants un enseignement en accord avec leurs «croyances religieuses». Cet enseignement – soutenu par tous les candidats républicains – s’accommode par ailleurs très bien de la négation du réchauffement climatique: Dieu ayant promis à Noé qu’il n’y aurait plus jamais de Déluge, les êtres humains seraient incapables de déséquilibrer le climat de la planète.

Il n’est pas étonnant que les politiciens qui défendent cette conception de la «liberté religieuse» bénéficient du soutien financier des groupes pétrochimiques. Et l’on comprend que la nouvelle encyclique du Pape François – qui affirme l’implication des humains dans le réchauffement climatique, fait de l’écologie une priorité et critique le capitalisme sauvage – mette hors d’eux ces conservateurs religieux et leurs financiers.

Mais on peut douter que l’encyclique papale mettra fin à l’emprise politique de la religion conservatrice aux États-Unis. Hillary Clinton n’a vraisemblablement pas fini de parler de Dieu à ses électeurs, ni du potentiel qu’il leur a donné.

PGz

Illustration: © CC Mike Mozart, Hillary Clinton